CHAPITRE HUIT

Qu’est-ce qui t’a poussée à l’écrire ? murmurai-je, sans quitter le poster des yeux. Kramisha s’assit lourdement sur son lit. Soudain, elle paraissait aussi épuisée que Lucie. Elle secoua la tête, et ses cheveux noir et orange dansèrent contre ses joues lisses.

— Rien de particulier. Des mots se bousculent dans ma tête, et je les couche sur le papier.

— Qu’est-ce que cela signifiait pour toi ? demanda Jack en lui tapotant doucement le bras.

— Je n’y ai pas réfléchi. Je l’ai écrit, c’est tout.

Elle regarda le poster et détourna aussitôt les yeux,

comme s’il l’effrayait.

— Ce sont des poèmes que tu as composés depuis que Lucie s’est transformée ? poursuivis-je en parcourant les autres, dont plusieurs étaient des haïkus.

Des yeux qui épient Noir dans le noir ils attendent Plume sombre tombe D’abord accepté

Aimé puis trahi – vengeance Sucrée comme une glace

— Douce Nyx ! chuchota Erik, pour que je sois la seule à l’entendre. Ils parlent tous de lui.

Plus je lisais, plus mon ventre se serrait.

Ils ont mal agi Comme l’encre d’un stylo cassé Jeté à cause d’un autre Usé

Mais il est revenu Vêtu de nuit Beau comme un roi Avec sa reine Le mal Devenu bien Si bien

— Kramisha, à quoi pensais-tu quand tu as écrit celui-là ?

— A notre exclusion injuste de la Maison de la Nuit, je suppose. Je sais que nous sommes mieux sous terre, mais je ne trouvais pas normal que seule Neferet connaisse notre existence. Ce n’est pas une bonne grande prêtresse.

— Tu pourrais me rendre un service et recopier ces poèmes ?

— Pourquoi ?

— Parce que, répondis-je, espérant que mon instinct ne me trompait pas, je pense que tu as reçu un don de Nyx. Je veux que nous l’utilisions à bon escient.

Elle a l’étoffe d’un Poète Lauréat des Vampires, déclara Erik, et elle serait sacrément mieux que le dernier !

Je lui lançai un regard mauvais ; il se contenta de hausser les épaules en souriant.

— Ce n’était qu’un constat…

Même si la mention de Loren me mettait mal à l’aise, surtout quand elle venait d’Erik, je sentis la justesse de ses propos tout au fond de moi. Nyx avait de toute évidence posé ses yeux sur cette jeune fille.

« Et puis zut ! songeai-je. Nous n’avons pas d’autre grande prêtresse sous la main. Je peux bien faire une proclamation. »

— Kramisha, je te nomme Poète Lauréat.

— Quoi ? Tu plaisantes, n’est-ce pas ?

— Je suis sérieuse. Nous formons un nouveau groupe de vampires. Un groupe civilisé. Il nous, faut donc un Poète Lauréat. Ce sera toi.

— Euh… je suis d’accord avec toi, Zœy, intervint Jack, mais le conseil ne devrait-il pas voter ?

— Si, et j’ai mon conseil avec moi, répondis-je.

J’avais bien conscience que Jack parlait du conseil de

Nyx, celui qu’avait dirigé Shekinah et qui régissait la vie de tous les vampires. Néanmoins, j’avais mon conseil des préfets, reconnu par l’école, et dont les membres étaient Erik, les Jumelles, Damien, Aphrodite, Lucie et moi.

— Kramisha a ma voix, déclara Erik.

— Tu vois, c’est pratiquement officiel.

— Ouais ! se réjouit Jack.

— C’est une idée folle, mais ça me plaît, dit Kramisha, rayonnante.

— Recopie ces poèmes avant de te coucher, d’accord ?

— Oui, sans problème.

— Viens, Jack, fit Erik. Notre Poète Lauréat a du travail. Hé, félicitations, Kramisha !

— Oui, toutes mes félicitations ! lui fit écho Jack en serrant la jeune poétesse dans ses bras.

— Allez-y maintenant. J’ai du pain sur la planche ! Et ensuite il me faudra du repos. Un Poète Lauréat se doit d’être beau, conclut Kramisha avec la rime.

— Ce poème parlait vraiment de Kalona ? voulut savoir Jack quand nous nous retrouvâmes dans le tunnel.

— Je pense que tous parlaient de lui. Pas toi ? m’adressai-je à Erik.

Il hocha la tête d’un air sombre.

— Oh, non ! Qu’est-ce que ça signifie ? s’affola Jack.

— Je n’en ai aucune idée, répondis-je. Nyx est à l’œuvre cependant, je le sens. Déjà, la prophétie nous est venue sous la forme d’un poème ; et maintenant, ça ! Ce ne peut pas être une coïncidence…

— S’il s’agit de la déesse, nous devons pouvoir en retirer quelque chose, réfléchit Erik à haute voix.

— Oui, c’est aussi mon avis.

— Il faut juste trouver quoi…

— Nous aurons besoin d’un cerveau plus gros que le mien, lâchai-je.

Il y eut un court silence, puis nous nous écriâmes tous en même temps :

— Damien !

Ombres sinistres, chauves-souris et inquiétudes concernant les novices rouges temporairement oubliées, je repris ma progression dans les tunnels avec Erik et Jack.

— La porte de la gare est par là, dit Jack en nous précédant dans une cuisine accueillante, puis dans une petite pièce qui faisait apparemment office de garde-manger, quoique je soupçonne quelle avait autrefois abrité plus de poches de sang que de boîtes de céréales et paquets de chips…

Le long d’un mur se trouvaient des sacs de couchage bien roulés et des oreillers empilés les uns sur les autres.

— C’est par là qu’on entre dans la gare ? demandai-je en désignant un escalier en bois escamotable qui menait à une trappe dans le plafond.

— Oui, c’est ça.

Jack monta les marches et poussa la planche. Quand je passai la tête dans le bâtiment « abandonné », je ne vis d’abord qu’obscurité, entrecoupée par des flash d’une lumière stroboscopique qui provenait des fenêtres et des portes condamnées. Je compris en entendant le roulement du tonnerre qu’il s’agissait d’éclairs.

L’orage mentionné par Erik se déchaînait toujours. Ces caprices du temps n’avaient rien d’inhabituel à Tulsa, même au début du mois de janvier, mais en ces circonstances je ne pouvais m’empêcher de penser que ce phénomène n’était pas normal.

Je sortis mon téléphone : pas de réseau.

— Le mauvais temps peut perturber la réception, dit Erik en voyant mon air angoissé. Vous vous souvenez de ce gros orage, il y a un mois ou deux ? Mon téléphone n’a pas fonctionné pendant trois jours entiers.

— Merci d’essayer de me rassurer, mais je… je ne crois pas que ce soit naturel.

— Oui, je sais.

J’inspirai profondément : à cet instant, nous ne pouvions rien faire pour rompre notre isolement.

« Chaque chose en son temps ! » décidai-je. Je redressai les épaules et regardai autour de moi. Nous nous trouvions dans l’ancienne billetterie, une petite pièce munie de guichets, protégés par des barres en cuivre terni. Nous passâmes dans une immense salle au sol en marbre, dont les murs étaient couverts de mosaïques à moitié effacées par le temps, qui représentaient des personnages des légendes amérindiennes, des coiffes de plumes, des chevaux, des vêtements en cuir avec des franges.

En contemplant la beauté érodée de l’ancien hall de gare, je me dis que ce serait un endroit formidable pour abriter une école. Perdue dans mes pensées, je traversai la salle vide et remarquai les couloirs qui partaient dans plusieurs directions. Je me demandai s’il y avait suffisamment de pièces dans le bâtiment pour faire des classes.

Nous empruntâmes un des couloirs, qui menait à une double porte en verre.

— C’est la salle de gym, nous apprit Jack.

Nous regardâmes à travers les vitres sales : on ne distinguait que des formes vagues qui évoquaient de grosses bêtes endormies, revenues d’un monde oublié.

— Là-bas, ce sont les vestiaires des garçons, et ici,

ceux des filles, poursuivit Jack en désignant une porte fermée sur notre droite.

— Bon, je vais filer sous la douche, dis-je sans conviction. Vous pouvez parler des poèmes à Damien ? S’il veut en discuter avec moi, dites-lui que je serai dans la chambre de Lucie, en train de dormir, j’espère, pour au moins quelques heures. Si ça peut attendre, on se réunira tous après nous être reposés.

Au moment où je me détournais, Erik me toucha le bras.

— Hé, on est ensemble, pas vrai ?

Je lus dans ses yeux la vulnérabilité qu’il essayait de cacher derrière l’assurance de son sourire. Il n’aurait pas compris si je lui avais répondu que j’avais besoin de lui parler de… euh… de sexe avant d’accepter de me remettre avec lui. Son ego en aurait pris un coup, il aurait eu de la peine, et je serais revenue au point de départ.

— Oui, on est ensemble.

Il m’embrassa avec douceur, l’air de dire : « Je suis heureux que tu sois de nouveau ma petite amie », et je me sentis fondre.

— Essaie de dormir un peu, murmura-t-il. À tout à l’heure !

Je suis restée plantée là : avais-je mal compris le sens de ses baisers passionnés dans le tunnel ? Après tout, il n’était plus un novice, mais un vampire adulte, qui avait accompli sa Transformation. Bref, il avait beau n’avoir que dix-neuf ans, c’était maintenant un homme.

Cette tension sexuelle entre nous était sans doute quelque chose de naturel, et non le signe qu’il me manquait de respect. Ma relation désastreuse avec Loren Blake m’avait au moins appris que sortir avec un homme était différent de sortir avec un adolescent, humain ou novice. La comparaison me rendait nerveuse. Mais Erik n’était pas Loren ! Il ne m’avait jamais utilisée, il ne m’avait jamais menti. Il s’était transformé, mais il était resté celui que je connaissais et que, peut-être, j’aimais. Il ne fallait pas que je me fasse de souci. Le reste se réglerait de lui-même. A côté de ce qui se passait en ce moment – un immortel lancé à nos trousses, la Maison de la Nuit tombée entre les griffes de Neferet, les novices rouges, Grand-mère dans le coma, et les horribles Corbeaux Moqueurs qui semaient le chaos à Tulsa –, mes doutes sur Erik étaient sans importance. Non ?

— Zœy ! Te voilà enfin ! Tu viens ou quoi ?

Erin avait passé la tête par la porte du vestiaire des filles. Un gros nuage de vapeur s’en échappait. Elle ne portait que ses sous-vêtements (assortis, évidemment, de chez Victoria’s Secret).

— Désolée… J’arrive, dis-je avant de me précipiter à l’intérieur.

[La Maison de la Nuit 05] Traquée
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